Bonjour tout le monde !
Je suis nouveau sur ce forum, mais je suis les activités de Framasoft depuis bien longtemps maintenant. Je cherche des personnes avec qui discuter d’un projet, pour brainstormer, voir si l’idée est bonne ou pas, et la réaliser sous sa meilleure forme possible s’il s’avère qu’elle fait sens (pour l’implémentation, je peux a priori m’en occuper en bonne partie – par contre faire appel à des professionnels du design serait peut-être une bonne idée).
En deux mots
Je réfléchis à un site ou une appli (probablement les deux mais peu importe) qui permette de déclarer des choses du style « je ferai grève à la date X si Y millions de personnes font grève aussi ».
En détail
Le contexte
Une bonne partie du monde est maintenant confinée grâce à notre cher virus. Individuellement ça peut vouloir dire un désastre, une aubaine, avoir beaucoup plus ou beaucoup moins de temps pour soi qu’avant (je suis dans la dernière catégorie), mais dans tous les cas beaucoup de gens vont finir de se rendre compte que beaucoup de choses ne vont pas dans notre société et que cette adaptation forcée (mais temporaire) est peut-être une occasion d’engager des changements durables.
Ça effraie certaines puissances au point qu’elles préféreraient peut-être lever le confinement et avoir plus de morts, que laisser le temps aux populations pour se poser des questions (We Wish to Inform You That Your Death Is Highly Profitable).
Donc probablement avant la fin de ce confinement, si grâce aux mouvements existants (XR, GJ, médias libres, intellectuels & Co) on arrive à rendre clair le lien entre le pouvoir dévastateur du Coronavirus et l’organisation de notre société (cf. par exemple les récents articles « J’ai la rage » sur Libération, ou « Contre les pandémies, l’écologie » dans le Monde Diplo [je ne mets pas de liens car je n’ai droit qu’à deux liens pour mon premier post]), potentiellement beaucoup de gens voudront faire pression sur Macron pour le tenir à ses promesses-mensonges, et profiter de l’occasion pour prendre le bon chemin pour la justice sociale et climatique (par exemple If UK companies want a bailout there must be conditions attached).
Évidemment ce genre de changement se fera pas tout seul, mais ça pourrait arriver si la pression sociale est assez forte, par exemple par quelque chose comme les Gilets Jaunes +++, ou une grève massive, ou toute autre mobilisation de masse. Maintenant, en France, on a un peu perdu foi dans les mouvements de masse parce que les gouvernements récents ont très peu répondu à cette pression – mais ça fait longtemps qu’il n’y a pas eu de mouvement réellement massif, qui bloque réellement un système de production (raffineries incluses) et de captation de l’attention, et qui donne le temps aux personnes de se poser et réfléchir. Les Gilets Jaunes y sont arrivés pendant quelques jours, avant d’être contrôlés. C’est en partie parce qu’on y croit pas, en partie parce que c’est risqué. Mais une grève massive et bloquante, par exemple, c’est un peu comme notre virus, sans les mauvais côtés : ça donne le temps de réfléchir, et ça fait suffisamment peur aux gouvernants pour les ramener à la réalité.
Je continue avec l’exemple de la grève, mais tout ceci s’applique à n’importe quelle mobilisation.
Les blocages à la grève (par exemple)
Il y a sans doute plusieurs facteurs qui font que quelqu’un ne fait pas grève (je suis pas sociologue de la grève, mais j’attends des réponses de ce côté) :
- on y croit pas car on pense qu’il n’y aura pas assez de personnes en grève,
- personne autour de soi ne le fait (milieu professionnel ou milieu social),
- ça coûte de l’argent,
- on sait pas comment faire,
- on veut pas mettre son employeur en difficulté (en PME par exemple)
- on ne peut pas (service minimum, ou en recherche d’emploi)
- bien d’autres raisons auxquelles je n’ai pas pensé
Le point 1, c’est un dilemme du prisonnier : individuellement, je ne vais pas prendre le risque de faire grève si je pense que peu de monde fera grève (je serai étiqueté comme gréviste de service, je vais perdre de l’argent, prendre du retard sur mon boulot, etc.). Et dans le meilleur des cas où beaucoup de gens font grève, j’aurais quand même rien perdu à ne pas participer. À moins d’être poussé à bout (et beaucoup le sont déjà), la plupart des personnes ont donc un intérêt individuel à ne pas faire grève, donc peu de monde fait grève.
Le point 2 est assez similaire au point 1 (plus des questions de pression sociale).
Le point 3 aussi, du point de vue de quelqu’un qui participe à une caisse de grève : à moins d’avoir des principes bien enracinés (et des moyens), ou un lien émotionnel fort (là encore c’est aussi le cas pour beaucoup), je ne vais participer à une caisse de grève que si je pense que ça servira un mouvement qui pourrait gagner, c’est-à-dire si beaucoup de monde participe.
Les points 4, 5 et 6 sont différents, et j’en parlerai plus trop du coup. Je crois qu’on pourrait faire une grosse différence en levant le problème des points 1, 2 et 3.
L’idée : changer les équilibres de Nash
Imaginons qu’on puisse déclarer « je fais grève à telle date si X millions prévoient de faire grève » (ça pourrait être anonyme, ou sous pseudonyme). Ou « je participe à tel mouvement si X millions de personnes y participent ». Si X millions de personnes font effectivement cette déclaration, le dilemme du prisonnier finit par être levé : on sait maintenant que X millions de personnes sont prêtes à participer.
Imaginons qu’on puisse aussi déclarer « je soutiens financièrement tel mouvement si X millions y participent ». On paye, et on est remboursé si le minimum de participants qu’on a choisi n’est pas atteint (une sorte de crowdfunding, mais conditionné au nombre de participants, pas à la somme totale récoltée).
Alors d’autres pourraient déclarer : « je participe à tel mouvement si X millions de personnes y participent ET si je peux être soutenu financièrement » (par exemple un SMIC journalier, ou un salaire médian journalier).
Au fur et à mesure que les déclarations sont faites, on voit une masse de participants potentiels se former (et rendre cette dynamique lisible par de bonnes animations/visualisations est crucial) et une confiance se construire. Pour chaque seuil passé, les personnes qui ont déclarer vouloir au moins cette quantité de participants sont notifiées, et l’équilibre de Nash qui maintien tout le monde dans le « on n’est pas assez, je vais pas m’y risquer » est levé petit à petit pour chacun.
Un premier jet de design
Voici à quoi ça pourrait ressembler (ceci est bien un premier jet !).
Un site et une appli, se ressemblant pas mal l’un à l’autre. En arrivant on voit quelque chose comme « X personnes sont prêtes à faire grève. S’il y en a ||choix||, moi aussi », et on peut faire sont choix de seuil et valider. On voit également un graphe des déclarations faites, ordonnées par magnitude du choix, qui rend visible 1) combien de personnes se sont déclarées, 2) combien parmi ces personnes vont participer (leur seuil est passé), 3) combien de personnes ont un seuil non encore atteint, et qui pourraient donc participer si on passe leur seuil.
Dessous, il y a des boutons du type : « j’ai besoin de soutien financier » / « je peux soutenir financièrement », qui une fois cliqués adaptent la déclaration que la page propose de faire. Le stockage de l’argent pourrait passer par des syndicats, ou se faire par Ethereum. Cette dernière option pose pas mal de questions pratiques (par exemple la fluctuation des taux de change), et des questions d’interface utilisateur, mais certaines banques commencent à réfléchir à l’utiliser pour les particuliers, alors ça vaut le coup d’être exploré je pense. Notamment parce que, si les problèmes mentionnés peuvent être résolus, ça a le potentiel de baisser le prérequis de confiance dans une institution qui stocke l’argent.
A priori, il faut un moyen d’authentification avec le déclarant pour pouvoir modifier la déclaration par la suite :
- email (avec suggestion d’une nouvelle adresse chez un CHATON par exemple, ou chez ProtonMail comme ils font chez XR)
- OAuth de GAFAM
- numéro de tél pour l’appli
- ou tout simplement un lien compliqué type « object capabilities »
Une contrainte importante est de stocker le moins possible sur le serveur, puisqu’il y a un potentiel évident de constitution d’un fichage des personnes qui veulent se mobiliser. (Il y a toute une discussion à avoir à ce sujet.)
Il y a enfin la question du calcul de nombre de participants effectifs (ceux dont le seuil est passé, ceux qui ont besoin de financement, et l’interaction avec les financements conditionnels), mais j’en ferai un post plus tard si l’idée intéresse. (Ce message est déjà suffisamment long, et j’ai peur de ne jamais l’envoyer si je cherche à rajouter des détails !)
Pour conclure
Il y a quelques problèmes évidents à cette idée, comme par exemple le stockage de l’argent de soutien, la relation entre ce que les gens déclarent et ce qu’ils font, ou la question de est-ce qu’il faut vérifier que les gens participent pour effectivement débloquer et répartir l’argent (je pense que non).
Le but de ce post est surtout de brainstormer autour du thème, et autour de ce premier jet de design (très basique et sans images, je le sais). Que pensez-vous du concept ? Avez-vous des idées pour le développer, ou des critiques (de préférence constructives) ? Est-ce qu’il y aurait des façons d’intégrer ce genre de chose avec Mobilizon pour toutes les fonctionnalités d’organisation ? Est-ce que vous voyez de meilleurs designs ?
En tout cas merci d’avoir lu jusqu’ici, et toute réaction sera vraiment bienvenue !