L'emploi dans le numérique libre

Bonjour tout le monde,

D’avance désolé si c’est pas la bonne catégorie pour poster ou que je débarque sur le forum comme un cheveu sur la soupe. Pour faire court, j’ai la trentaine passée, essaie d’entrer dans le milieu du dev sans succès depuis plus de dix ans, et j’arrive donc à un virage de ma vie où je me pose beaucoup de questions sur ce que j’attends du monde professionnel dans le secteur du numérique, de mon rapport au libre, et des questions éthiques qui en découlent ; et j’ai estimé que de (re)lancer le débat au sein de l’une des principales communautés francophones autour du numérique libre était possiblement la meilleure solution que j’avais à ma disposition.


Mon envie de bosser sur les ordinateurs date du collège, du milieu des années 2000 où le web était encore dans une période semi-bénie dont les supports commençaient à s’ouvrir au grand public sans être encore trop bouffés par l’action des GAFAM. Avec le temps et les études, je me suis forgé le profil d’un dev Javascript/PHP dans l’idée de faire des trucs qu’on pourrait lire dans un navigateur que j’aurais codé moi-même avec une intervention limitée de frameworks. Quand j’ai cherché mon premier stage en 2013, c’était pas une demande si exotique. Du coup, à quels postes de dev ai-je pu prétendre pendant ces dix ans ?

  • un stage de fin d’études dans une boutique de dépannage informatique maintenue par une seule personne, qui s’est bien passé, mais qui abandonnait le dev, et était la seule boîte qui a accepté de me prendre en stage à l’époque.
  • une semaine de taff non rémunérée grâce à un dispositif d’insertion de Pôle Emploi qu’on m’a proposé après un an sans rien trouver, où je suis tombé dans une PME avec des co-gérants toxiques qui menaçaient leurs employés de licenciement par manque de performance.
  • un apprentissage dans une autre PME (faute de trouver un vrai contrat, j’ai recommencé mes études) qui comportait une agence web qui s’est relativement bien passé, mais qui a longtemps pratiqué des tarifs très accessibles et qui n’était en conséquence pas assez rentable pour maintenir deux devs en poste même au SMIC (plus le manque d’intérêt du patron pour cette agence qu’il a fini par fermer peu après mon départ).
  • un CDD dans un service public qui s’est au départ très bien passé, où j’estimais tenir le poste que j’ai cherché pendant de nombreuses années, et je ne pouvais pas rêver de meilleurs collègues ; mais dans lequel j’ai fini par faire un burnout, qui a impacté mes collègues au point que mes supérieurs hiérarchiques directs me mentent et me placardisent, et que je le paie lourdement de ma santé mentale encore en ce moment (c’est pas le sujet de ce post, je suis suivi pour ces aspects).

Donc en dix ans à chercher du taff de dev, j’ai eu la TPE fauchée, la PME toxique, la PME jemenfoutiste, et le service public qui m’a indirectement licencié. Je suis effrayé par les ESN, le freelance et maintenant par le travail en équipe. Je me suis souvent demandé si c’était moi le problème, a priori oui, on vient de me diagnostiquer un sévère trouble de la communication me poussant au renfermement qui pourrait expliquer pas mal de choses de ces dernières années.

Ça c’était pour présenter mon profil perso, mais j’aimerais partir de ce témoignage pour évoquer le sujet plus large de l’image que j’ai du dev aujourd’hui.


J’ai toujours essayé d’esquiver les SSII/ESN, j’en connaissais la mauvaise réputation, j’ai vu mes camarades de promo épuisés et hurler dans les couloirs car ne supportant plus leurs postes, des juniors envoyés au casse-pipe sur des missions inadaptées à leurs profils. Me retrouver avec un régime d’heures supplémentaires imposé, envoyé « chez le client » loin de chez moi pendant des mois, à passer mes soirs et week-ends à devoir maintenir une veille intense sur des frameworks dont je n’aurai jamais l’utilité ou qui mourront dans six mois, et/ou dans une ambiance soit trop corpo où le costume-cravate est imposé soit trop familiale entre différents niveaux de la hiérarchie vous poussant à accepter n’importe quoi y compris les séminaires et céder votre image aux campagnes de communication d’une entreprise (et c’est pas cantonné aux grosses boîtes hélas).

J’ai toujours refusé de me lancer en freelance, jugeant que c’était un risque financier considérable, en ajoutant le fait que je n’ai aucun réseau professionnel, et donc aucune clientèle potentielle, et donc aucune source de revenus envisageable, et donc une probable précarisation à durée indéterminée. La meilleure solution dont je dispose est de m’inscrire aux sites bradant les services de dev et me mettant en concurrence avec des centaines d’autres profils similaires au mien en espérant que quelqu’un tombera sur moi et m’estimera utile.

Les stacks techniques parlons-en, le secteur est donc complètement bouffé par les GAFAM. J’ai l’impression qu’hormis de rares poches de résistance, où que j’aille et quoique je fasse, je me retrouverai à indirectement travailler pour des monopoles qui ont asservi Internet, que ce soit par la course au référencement qui invisibilise 99% du contenu pertinent en ligne, le pillage de données qui fait payer les gens utilisant mon site ou mon appli comme moi-même par leur profilage, l’utilisation d’outils énergivores comme le dernier framework à la mode ou l’IA générative participant à un écocide, la stratégie du mobile-first qui a dérivé vers le mobile-only et qui vide le web de ses fonctionnalités pour les rediriger vers des apps fermées davantage propices à devenir des silos de données.

Par extension, j’ai progressivement perdu mon intérêt pour une grande partie du secteur du dev. Je flânais encore régulièrement sur les pages du MDN ou de CSS Tricks il y a encore quelques années, aujourd’hui je ne suis plus aucune source de veille par immense lassitude (il faut que je retrouve des sources qui ne soient pas complètement déprimantes, donc pas complètement bouffées par les GAFAM ou l’IA générative, qui offre un point de vue critique sans avoir un alarmisme omniprésent, et qui garde une forme de curiosité voire d’enthousiasme vis-à-vis de ce secteur quand même) et mon profil se retrouve donc progressivement déphasé des offres d’emploi.


C’est pour ça que je me retrouve à poster ça en discussion chez Framasoft. Une poche éthique dans l’océan de merde qu’est devenu le secteur du numérique, une organisation qui promeut une autre vision d’Internet et propose un futur plus enviable pour les travailleuses et travailleurs du numérique comme pour les gens qui vont s’en servir. Par extension je pense aux CHATONS qui prouvent que toutes les boîtes n’ont pas pleinement renoncé à toute notion d’asservissement et tentent de survivre tant bien que mal en gardant une vision plus éthique. J’ai aussi connaissance du concept de small web et des initiatives similaires, qui ne vont même pas forcément vers un concept de décroissance, mais vers une forme de sobriété qui nous permettrait de conserver les fonctionnalités de confort qu’ont amené les progrès du numérique de ces dernières années sans une grande partie des inconvénients que je citais tout à l’heure.

Seulement … est-ce qu’on en vit, de cette vision ? Est-ce que cette partie du secteur est aujourd’hui assez forte, pas seulement pour permettre la survie des profils freelances plus débrouillards ou qui étaient là au bon moment, mais aussi pour embaucher aujourd’hui ; où est-ce qu’on ne peut espérer au mieux que trouver des associations comportant des dizaines de bénévoles pour pratiquement aucun salarié ? Pendant des années, je n’ai même pas cherché à demander à gagner des milliers d’euros comme soi-disant la plupart des devs au bout de cinq ans de contrat ; j’aspirais seulement à faire un boulot qui me plaise et où je n’aurais pas l’impression de détruire la société.

Est-ce que ça sert à quelque chose de continuer d’y croire, où est-ce que comme tout le monde, je dois au final pleinement embrasser cette structure catastrophique du monde du numérique pour survivre et utiliser mes compétences pour construire des dépotoirs pour les quarante prochaines années, et éventuellement blanchir mon argent sale dans des dons vers des structures moins nocives ensuite comme sûrement beaucoup de gens dans mon cas ?

Avec les années, j’ai l’impression d’être de moins en moins seul à avoir cette vision et à galérer à trouver du boulot, j’espère qu’en (re)lançant le débat ici, je trouverai des points de vue qui pourront me rassurer.

Il y a des boîtes du libre qui tournent bien malgré tout… Par exemple Linagora, Nextcloud, Passbolt, Bitwarden, Kdab pour Qt… Et Linux est quasiment partout. Beaucoup de monde quitte Windows. Les Android libres n’ont jamais été aussi aboutis et bien supportés.

Malgré l’emmerdification des choses, notamment du web, il y a bel et bien un réseau social libre, Mastodon. C’est sur que ce n’est pas ces choses qui raflent la mise… Mais ça n’a jamais été aussi grand.

Il y a de superbes stack libres pour plein de choses, du game dev au devops, de l’embarqué au web. Même si à la fin, capitalisme oblige, on sert un intérêt peu motivant, on peut le faire avec style. Il y a bien aussi des services associatifs qui ont probablement besoin d’informaticiens, à condition d’accepter un salaire bas.

Il y a le salon sido et son volet open source qui est gratuit et qui réunit pas mal d’acteurs. Il y a greentech qui offre une motivation éthique. Ça ne répond pas vraiment à tous les travers que tu mentionnes, mais j’ai rencontré des professionnels qui n’ont pas un job de merde, et qui sont fiers de ce que ça apporte au monde. Même bosser pour le bon coin ou backmarket, c’est assez stylé. C’est pas la majorité des gens qui se plaisent, et beaucoup n’ont pas de chance, c’est certainement ton cas.

Quant à la sobriété, on est d’accord, il faudrait moins de tech. Mais quitte à en faire, tout ne tourne pas aux gafam, tout n’est pas spéculation et licornes, et on peut faire de l’Open source sans compromettre de nombreux business models. Il y en a même qui s’épanouissent dans la sobriété.

Est-ce que ça va te suffire à te remotiver ? Car c’est pas impossible que la tech t’épuise et ne t’intéresse plus assez. Peut-être qu’il te faut cette pause pour réfléchir à ce qui te motive vraiment, et ce que tu es prêt à sacrifier pour le faire.

Pour trouver des idées te souhaitant un coup de coeur : Comment faire une reconversion professionnelle dans l’environnement ? - Jobs that makesense
Offres d'emploi - Jobs that makesense
Les reconversions professionnelles - Clé de réussite d’une transition écologique juste - Réseau Action Climat

Et si vraiment plus rien ne te motive, ou que la force te manque, pense à prendre soin de toi, et à consulter un psychologue.

Bonne chance et bon courage

Les sites d’offres d’emploi que je consulte sont toujours saturés d’offres imposant les stacks techniques des GAFAM. Entre React, C#, .NET, AWS, Google Cloud Platform, Windows Server, Kotlin, … j’ai l’impression d’être pris au piège à chaque fois que j’ouvre une page sur Indeed, que mon secteur géographique est complètement inféodé à ces technos, et que j’ai épuisé mes chances de trouver quelque chose de correct.

J’ai envisagé de passer full remote en réponse à ça (et pour limiter les risques), mais j’ai l’impression d’une part que le vrai full remote existe pas, tous forcent au moins un jour de travail par semaine en présentiel, ou une réunion par mois au siège ; et d’autre part que c’est un type de poste réservé aux seniors aguerris, ce que je suis pas. Au cumul, j’ai entre 0.25 et 5 ans d’expérience selon l’interprétation que l’on a du terme d’expérience. Pour un recruteur qui exclut les projets perso, scolaires, stages et apprentissages de l’expérience, et qui segmente l’expérience par langage, mon CV va à la poubelle direct. Pour un recruteur qui ne fait rien de tout ça, je suis presque senior.

Je suis même pas regardant sur le salaire au final, celui de mon dernier poste était bas mais me permettait quasiment d’assouvir tous mes besoins loisirs inclus. Quand je lis que la norme est de plus de 30k€ nets par an, je me demande ce que je ferais avec tout cet argent. Plus de dons j’imagine. Et en même temps, je m’en retrouve coincé en entretien d’embauche quand on me demande mes prétentions salariales, parce que si je suis honnête, je tire toute la profession vers le bas, si je le suis pas, je risque de demander trop.

Pour la question du suivi psy, j’ai déjà mes fréquentations régulières. Seulement, leurs compétences se limitent à certains aspects du problème que je rencontre, et s’il est vraiment envisageable de retrouver une vision plus positive de ma situation un jour, j’estime nécessaire de chercher l’intervention de profils plus variés sur les autres aspects que les experts psy ne peuvent pas couvrir.

C’est dans cette optique que j’ai posté un message ici, entre autres :

  • Pour trouver des exemples de boîtes du libre qui embauchent. Ma connaissance du secteur est limitée, et je ne peux souvent citer que des exemples qui tournent encore avec trois bouts de ficelle aujourd’hui et pour qui des embauches ne sont pas envisageables, ou les mastodontes qui me paraissent hors d’atteinte.
  • Pour trouver des espaces de discussion pro moins nocifs que ceux imposés par le discours dominant de la tech et qui m’aideraient en conséquence à trouver du travail avec moins de chances que je me retrouve esclave d’un projet bullshit.
  • Pour trouver des plates-formes qui relaient des offres d’emploi qui ne me donnent pas envie de vomir comme à chaque fois que je visite Indeed et son ergonomie catastrophique, Welcome to the Jungle et ses offres bourrées de fausse familiarité et dont la moitié du texte est composée d’emoji, ou France Travail et sa plate-forme bourrée de services tiers et d’offres posées par des cabinets de recrutement qui anonymisent les boîtes pour qui elles travaillent parce que ces dernières ont trop honte de parler en nom propre.

En ce sens, ton message répond à ces trois aspects, donc déjà, merci beaucoup d’avoir pris le temps de me répondre et de m’avoir accordé ces informations que je pourrai exploiter !

J’ai entendu parler de Collabora en bien, récemment. Ils font quasi exclusivement que du libre, et sont organisés comme une ESN, avec un éventail de missions pour un éventail de profils.